Ulto-éditions, ultime utopie du nîmois Gauthier Surelle
C’est souvent de loin que viennent des choix d’aujourd’hui. A l’exemple du souvenir d’un arrière-grand-père. « Mon grand-père m’a transmis la fascination qu’il avait pour son père, un paysan ardéchois. Il faisait ses sabots, ses chaises et leur paillage» avoue Gauthier Surelle, fondateur d’Ulto-éditions. Il crée, fabrique et diffuse une collection de mobilier en petite série ou à la commande. Et pour en arriver là, le nîmois est passé par un Bac Arts Appliqués, un BTS Design Produits en Isère, un Master Arts Appliqués à Toulouse. Avant d’apprendre la menuiserie chez les Compagnons du Devoir de sa ville natale. « J’ai voulu aller vers l’artisanat pour être maître de tout le processus de production » explique-t-il.
C’est ainsi qu’il a créé « Gauthierand Co », une entreprise de fabrication de mobilier et d’agencements, en 2009. Avant de fonder Ulto- Editions, huit ans plus tard. Réussissant à présenter une collection permanente. Fort de compétences manuelles assises sur un mémoire d’éco design, le menuisier universitaire a pu définir la philosophie de son projet professionnel. Il se réfèrerait au style Shaker, à Mies van der Rohe ou Marcel Breuer. Et plus particulièrement à Enzo Mari (célèbre designer italien décédé en octobre 2020, ndlr). « Sa philosophie m’a parlé. Economie de moyen et croyance en l’intelligence collective. Un précurseur au franc-parler ! », s’enthousiasme tranquillement le presque quadra, tout en confiant « J’ai son livre Autoprogettazione en deux exemplaires. Ainsi, Je peux en prêter un ». Souci révélateur de son envie de transmettre. N’anime-t-il pas régulièrement des workshops, des interventions dans des lycées et universités. Récemment, il a participé à une conférence, à Montpellier, dans le cadre de la French Design Week.
A propos d’Enzo Mari, Gauthier n’a rien à ajouter ni à retrancher à la réponse que son maître fit à la question « Qu’est-ce qu’un bon design ? ». Affirmant alors « Bon signifie durable, accessible, fonctionnel, bien fait, pertinent émotionnellement, résistant, socialement bénéfique, beau, ergonomique et accessible financièrement ». « J’espère tendre vers cela » conclut l’élève avec humilité, bien conscient que la dernière exigence n’est pas forcément atteignable pour faire de la qualité, à l’échelle de sa production. En même temps, il plaide pour une cohérence intemporelle. Une ultime utopie ? Deux mots que Gauthier Surelle a associés en choisissant Ulto-éditions. Tout en précisant l’importance qu’il attache au less is more. Et au travail collectif. Sa collaboration avec le collectif « Echelle 1 » d’Uzès en témoigne. Créant les suspensions de la gamme Lino, reconnues par un label de l’Observeur du design, en 2016.
Difficile aussi de douter de son engagement pour le local. « Longtemps, je n’ai utilisé que le châtaignier des Cévennes » aime-t-il rappeler. Aujourd’hui, il n’hésite pas à travailler d’autres bois, français bien sûr. Chêne, frêne blond, avec une préférence pour le noyer que lui fournit une scierie d’Isère. A laquelle il restera fidèle, quoi qu’il en coûte ! L’homme n’oublie pas non plus ses amis. Pierre Dubourg, rencontré sur les bancs de la Fac, en fait partie. Pour sa collection, table, banc, rayonnages et étagères modulaires, guéridon, chaise …, Gauthier lui fixe le cadre, la typologie. « Pierre assure le design et moi le prototypage ». Confessant au passage « notre table T est emblématique dans sa simplicité. Elle reflète l’identité de la maison ». Que soulignent également les photos qu’il réalise pour son site. « C’est à mon père photographe que je dois d’utiliser des moyens limités. Et l’idée d’éclairer l’objet avec une lampe de poche, en jouant sur le temps de pose. Il m’a exercé l’œil ». Et, bon fils, il ne manque pas d’associer sa mère, passionnée par la décoration.
Quant au modèle économique de son entreprise, il repose essentiellement sur l’organisation d’expositions où il vend sa production et prend des commandes. En 2021, c’est à Uzès et Toulouse qu’elles se tiendront. En attendant, il se prépare à quitter l’ancien atelier de son père pour s’installer en Uzège. Avec, en tête, des projets de collaboration à finaliser, une proposition de bureau pour compléter sa collection … Et, passionné par le vélo, l’idée plus lointaine d’en réaliser un, en carbone et bois. A l’heure du déménagement, Gauthier Surelle n’oubliera pas les vieux outils du grand-père de son père. Qui viennent de loin !
Guy Hébert